Thierry Breton : réponse à la question de la députée Arlette Franco sur la décision de permettre la migration de l'informatique du ministère des finances vers les logiciels dits « libres »
Par Jean-Christophe Becquet :: Questions au gouvernement :: #112
La question N° : 90608 de la députée Arlette Franco publiée au JO le 04/04/2006
Mme Arlette Franco souhaite attirer l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur la décision de permettre la migration de l'informatique du ministère des finances vers les logiciels dits « libres ». En effet, le ministère des finances vient de signer le plus important contrat au niveau mondial pour le support de logiciels libres, avec le consortium Bull, Capgemini et Linagora. Ce contrat couvre l'ensemble des directions du ministère, à savoir la direction générale des impôts (DGI), la direction générale de la comptabilité publique (DGCP), l'administration des douanes, ainsi que la direction du personnel, de la modernisation et de l'administration (DPMA). Il concerne aussi bien le système d'exploitation, les différents portails du ministère, les briques d'infrastructure, la sécurité, les outils de développement, que les bases de données. S'il apparaît que le cahier des charges de ce contrat est plutôt contraignant, il s'élève tout de même à 39 millions d'euros sur trois ans, répartis en part fixe de 3,5 millions d'euros (support et activités de maintenance corrective et évolutive), et une part variable comprise entre 9 et 35,5 millions d'euros (études et prestations d'accompagnement pour les projets de migration vers l'« open source »). Cependant étant donné l'importance des sommes d'argent public en jeu, il convient de s'interroger sur différents points, comme par exemple le problème de l'offre encore restreinte en logiciels libres, ou la question de la pérennité de ces logiciels. Enfin, étant donné l'ampleur de ce contrat, et le poids du consortium sur le marché du libre, n'existe-t-il pas un risque d'assèchement des compétences en ce qui concerne les spécialistes du service « open source » ? Par conséquent, elle lui demande de bien vouloir lui faire part de son sentiment sur ce sujet.
La réponse du Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie publiée au JO le 08/08/2006
Le ministère de l'économie des finances et de l'industrie (Minefi) a redéfini la politique informatique de l'administration fiscale à l'été 2000, dans le cadre du lancement de Copernic, programme planifié sur dix ans de reconstruction complète d'une large partie de son système d'information. Copernic a pour objectifs de donner accès à tous les contribuables, particuliers et entreprises, à leur compte fiscal, de leur offrir des téléprocédures de déclaration et de paiement, et d'apporter aux 80 000 agents de l'administration fiscale un outil de gestion plus performant. Pour structurer cette politique, trois axes stratégiques ont été retenus : garder la maîtrise du système d'information - pour être apte à adapter rapidement le système à des besoins fluctuants tout en assurant la qualité du service rendu ; en assurer la pérennité - pour faire en sorte que les choix d'aujourd'hui permettent de maîtriser le système demain, au meilleur coût ; construire l'indépendance vis-à-vis des technologies utilisées dans le système d'information et notamment vis-à-vis des fournisseurs. La démarche opérationnelle mise en oeuvre pour atteindre ces objectifs s'articule autour d'un paradigme d'architecture fort, dit « orienté service » (connu désormais sous l'acronyme SOA - Service Oriented Architecture). L'adoption systématique de normes et standards ouverts garantit l'interopérabilité des solutions logicielles. Ainsi, la pérennité des choix du Minefi est assurée, indépendamment de celle des produits retenus au final. Dans cette stratégie, le choix des logiciels (libres ou propriétaires) n'est pas un choix structurant mais simplement un choix tactique de court à moyen terme. Le logiciel libre couvre aujourd'hui l'ensemble des domaines de l'application informatique : systèmes d'exploitation, suites bureautiques, serveurs d'applications, bases de données, logiciels internet, outils de développement et d'administration, etc. Cette offre résulte des principes sur lesquels s'appuie le logiciel, c'est-à-dire la publication des codes sources et le respect de standards ouverts qui permettent de capitaliser les acquis de développement et de garantir une parfaite interopérabilité. Cette offre est suffisamment fiable pour constituer l'ensemble de l'ossature technique de domaines entiers. Cette offre est confortée par une demande sans cesse croissante des entreprises séduites par une limitation des coûts de licences et par une assurance d'indépendance vis-à-vis des fournisseurs. Selon une étude de Gartner Group, en 2008, 95 % des 2 000 plus grands comptes informatiques mondiaux auront développé une politique volontariste en matière de migration vers les logiciels libres. C'est dans ce contexte que, dès 2000, a été examinée l'utilisation de logiciels libres parmi d'autres options possibles ; le choix de logiciels s'effectuant sur des critères tels que les fonctions, la performance, la maintenabilité, le coût total de possession, etc. Fort de plusieurs expériences très positives, il a été décidé de recourir aux logiciels libres à titre expérimental. Ce n'est que depuis mi-2004 que le logiciel libre est devenu en tant que tel une des composantes importantes de la politique informatique de la direction générale des impôts (DGI). À titre d'illustration : 4 000 serveurs GNU/Linux ont été déployés ces dernières années ; l'administration système est presque entièrement basée sur du logiciel libre (Nagios, RRDTools), ainsi que l'infrastructure de production (Apache, Tomcat, Axis, Jboss, etc.) hors systèmes de base de données ; la plate-forme de développement repose également sur du logiciel libre (Eclipse). Au total, environ 170 composants libres sont utilisés à la DGI, ce qui illustre la diversité de l'offre en la matière. Depuis, des actions ont été lancées afin d'étudier les conditions d'une extension de ce recours au logiciel libre à d'autres services du ministère. Le marché signé par quatre directions du Minefi avec le consortium Bull, Capgemini et Linagora pour le support de ces composants libres et les prestations d'assistance associées, s'inscrit dans ce cadre. La mise en concurrence effectuée par le Minefi en 2004 pour la passation de ce contrat a confirmé la présence d'une concurrence réelle sur ce secteur, avec des offres en provenance de grands acteurs du marché informatique. La qualité et l'importance des différents acteurs concernés montrent que le secteur des logiciels libres fait l'objet d'une attention particulière du secteur informatique qui ne peut aller qu'en s'accroissant à l'avenir, notamment dans le domaine des services associés, ce qui devrait permettre d'assurer la pérennité des logiciels et le maintien des compétences des spécialistes du service « open source ». Le coût ferme du contrat (3,5 millions d'euros) donne une évaluation fiable du coût strict de possession du logiciel libre ; le coût strict comprend le droit d'utilisation, la maintenance corrective, les maintenances évolutive et adaptative (hors spécifiques), et le support téléphonique. Cette somme représente seulement 2 % du budget annuel du programme Copernic, la plupart des grands programmes d'investissement consacrant couramment jusqu'à 20 % de leur budget à ces coûts. La part variable du contrat, qui constitue la partie la plus significative du marché, concerne la réalisation de prestations d'assistance à la maîtrise d'oeuvre. Ces prestations ont pour but principal la réalisation de logiciels « à façon » basés sur des composants libres génériques, et la maintenance de ces développements spécifiques ; à ce titre, elles ne rentrent pas dans le coût de possession du logiciel libre.