Proposition de loi de Jean-Yves Le Déaut, Christian Paul et Pierre Cohen tendant à renforcer les libertés et la sécurité du consommateur et à améliorer la concurrence dans la société de l'information
Par Jean-Christophe Becquet :: Logiciel libre et administrations :: #55
Cette proposition de loi tendant à renforcer les libertés et la sécurité du consommateur et à améliorer la concurrence dans la société de l'information date du 30 mai 2000. Bien qu'elle n'ait pas abouti, il nous a semblé intéressant de la référencer ici pour mémoire.
Cette proposition de loi a sucité une réaction mitigée de l'April : Une proposition de loi insuffisante pour promouvoir une véritable politique citoyenne de la « société de l'information ».
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Exposé des motifs
Mesdames, Messieurs,
Les progrès fulgurants de l'utilisation des nouvelles technologies de l'information et des télécommunications nécessitent un accompagnement législatif. Les services publics et les collectivités locales doivent, en la matière, constituer un modèle et un moteur pour une société de l'information garante des libertés individuelles, de la sécurité du consommateur et de la concurrence.
Quelques exemples montrent que, malgré les progrès importants réalisés grâce à l'action du Gouvernement pour la société de l'information, les services de l’État utilisent souvent des standards de communication intimement liés à un fournisseur privé unique, ce qui contraint un usager ou collectivité à être client de ce même fournisseur et renforce de façon significative les phénomènes d'abus de position dominante.
Les services de l’État utilisent souvent des logiciels dont le code source n'est pas disponible, ce qui leur interdit de faire corriger les erreurs que les fournisseurs refusent de corriger eux-mêmes ou de vérifier l'absence de défauts de sécurité dans des applications sensibles. Les services de l’État utilisent parfois sans le savoir des logiciels qui transmettent en secret des informations a priori confidentielles, à des sociétés ou organismes étrangers.
Or, les modèles économiques de l'industrie du logiciel et des télécommunications développés par le marché sont fondés en grande partie sur l'appropriation d'une clientèle et la valorisation exponentielle des profils d'utilisateurs. Ces modèles économiques favorisent des stratégies d'incompatibilité, de secret industriel, d'obsolescence programmée et de violation des libertés individuelles. Si l’État français ne peut prétendre éliminer par la loi ces tendances de fond en raison du caractère transnational des réseaux de communication, il peut néanmoins favoriser le développement sur le sol français d'une société de l'information respectueuse des libertés publiques, de la sécurité du consommateur et de la concurrence, et espérer jouer un rôle précurseur en Europe et dans le monde.
La loi que nous proposons se fonde sur cinq principes : le libre accès du citoyen à l'information publique, la pérennité des données publiques, la sécurité de l’État, la sécurité du consommateur dans la société de l'information et le principe d'interopérabilité du droit des logiciels.
Pour garantir un libre accès du citoyen à l'information publique, il faut que le codage des données informatiques communiquées par l'administration ne soit pas lié à un fournisseur unique. Les standards ouverts, c'est-à-dire dont l'ensemble des règles de codage de l'information sont publics, permettent de garantir ce libre accès en autorisant, si nécessaire, le développement d'une offre de logiciels libres compatibles.
Pour garantir la pérennité des données publiques, il faut que l'utilisation et la maintenance d'un logiciel ne dépendent pas du bon vouloir des concepteurs du logiciel. Il faut des systèmes dont l'évolution puisse être toujours garantie grâce à une disponibilité du code source. Le principe de disponibilité du code source dans le cadre de contrats de licence, principe présenté aujourd'hui par le code des marchés publics confine une option limitée aux seuls achats de progiciels, doit devenir la règle et être appliqué à tous les achats publics de logiciels.
Nous avons volontairement écarté une approche législative fondée exclusivement sur l'usage des logiciels libres. En effet, quelle que soit la qualité reconnue de certains logiciels libres, il serait inopportun que l'Etat favorise un modèle économique d'édition de logiciel par rapport à un autre. Au contraire, le recours obligatoire à des standards de communication ouverts et la publication des codes sources garantit une concurrence équitable, conforme au principe d'interopérabilité du droit du logiciel.
Pour garantir la sécurité nationale, il faut des systèmes dépourvus d'éléments permettant le contrôle à distance ou la transmission non voulue d'informations à un tiers. Il faut des systèmes dont le code source est librement accessible au public pour en permettre l'examen par un grand nombre d'experts indépendants dans le monde. Notre proposition de loi devrait apporter plus de sécurité à l’État, car la connaissance du code source éliminera le nombre croissant de logiciels contenant des "séquences espions".
Notre proposition de loi devrait également renforcer la sécurité du consommateur dans la société de l'information en permettant l'émergence d'une offre de logiciels dépourvus de "séquences espions" susceptibles de porter atteinte au respect de la vie privée et aux libertés individuelles. Mais l'émergence d'une telle concurrence nécessite que soit réaffirmé et renforcé le principe d'interopérabilité introduit dans le droit du logiciel alors même que le droit à la compatibilité est aujourd'hui contesté par des acteurs en position dominante pour entraver l'émergence d'une concurrence. Pour garantir l'interopérabilité entre logiciels, il faut que les droits de propriété intellectuelle ou industrielle d'un concepteur de logiciel ne bloquent pas le développement de logiciels originaux compatibles et concurrents. Le droit à la compatibilité pour tous, c'est-à-dire le droit de développer, de publier et d'utiliser librement un logiciel original compatible avec un autre doit être garanti par la loi. Aussi, le principe d'interopérabilité introduit par le droit européen du logiciel doit-il prévaloir sur les autres droits éventuels de propriété intellectuelle ou industrielle. En particulier, l'existence d'une marque sur un standard de communication ou d'un brevet sur un procédé industriel nécessaire à la mise en œuvre d'un standard de communication ne saurait permettre à son détenteur de bloquer ou de limiter la libre diffusion de logiciels compatibles.
Notre proposition de loi peut être mise en œuvre immédiatement. En effet, la majorité des éditeurs de logiciels est prête à adopter des standards de communication ouverts tels que ceux définis à Paris, Boston et Tokyo par le Word Wide Web Consortium. De nombreux éditeurs de logiciels propriétaires sont également prêts à fournir à l'administration française le code source de leurs produits. En outre, l'offre de logiciels libres autour du système d'exploitation Linux couvre désormais une grande partie des besoins courants d'une administration ou d'une collectivité. Mais les administrations et collectivités ne sont pas suffisamment informées de l'existence de standards ouverts ou des offres de logiciels publiés avec leur code source.
Pour faciliter une adoption rapide des standards ouverts, il convient de renforcer le rôle de la mission interministérielle de soutien technique pour le développement des technologies de l'information et de la communication dans l'administration (MTIC) et de lui confier la mission de recenser, puis d'informer l'administration et les collectivités sur l'offre en matière de standards ouverts et de logiciels publiés avec leur code source. En cas de carence du marché, la MTIC est chargée du développement de nouveaux standards ou de nouveaux logiciels publiés avec leur code source. Pour remplir ces nouvelles missions, la MTIC est transformée en Agence des technologies de l'information et de la communication (ATIC). En cas de carence du marché, l'ATIC est chargée du développement de nouveaux standards ou de nouveaux logiciels publiés avec leur code source. Dans un souci de libre concurrence, les développements éventuels sont mis dans le domaine public ; ils peuvent donc être commercialisés indifféremment sous forme de logiciel libre ou de logiciel propriétaire, le choix du contrat de licence relevant de la liberté de l'éditeur. L'ATIC est également chargée d'évaluer le niveau d'interopérabilité, de pérennité et de sécurité des logiciels achetés par l'administration française. Plus généralement, les systèmes de communication ouverts et la disponibilité du code source sont indispensables pour garantir à l'échelle européenne l'interopérabilité entre les systèmes d'information des administrations et des organismes publics nationaux et éviter que l'interconnexion entre systèmes dépende du seul bon vouloir des éditeurs de logiciels. Aussi, l'ATIC est chargée de participer aux travaux de coopération internationale dans le domaine des technologies de l'information et de la communication, et de favoriser l'interopérabilité avec les systèmes d'information des autres pays membres de l'Union européenne.
Notre proposition de loi répond aux préoccupations énumérées ci-dessus. Elle rappelle que l’État peut, tout en défendant l'économie de marché, jouer un rôle sur l'économie en préservant l'intérêt national et européen. Cette proposition de loi permet à la France de s'ériger en défenseur des libertés dans les nouvelles technologies de l'information et de la communication.
Proposition de loi
Article 1er
Lors des échanges de données informatisées, les services de l’État, les collectivités locales et établissements publics ont obligation de recourir à des standards de communication ouverts, constitués de règles et procédés d'échange publics de l'information numérique.
Article 2
Les services et les établissements publics de l’État et des collectivités publiques territoriales sont tenus d'utiliser des logiciels dont les codes sources leurs sont accessibles.
Article 3
Toute personne physique ou morale a le droit de développer, de publier et d'utiliser un logiciel original compatible avec les standards de communication d'un autre logiciel.
Article 4
Il est créé un établissement public de l’État, dénommé Agence des technologies de l'information et de la communication. Cet établissement est placé sous la tutelle du ministère chargé de l'industrie.
L'ATIC a pour mission d'informer et de conseiller les services de l’État, les collectivités et les établissements publics dans la conception et l'identification des besoins techniques en matière de technologie de l'information et de la communication. Elle identifie les besoins des services publics en matière d'équipements et de logiciels, veille à l'harmonisation des standards de communication et propose des références techniques communes. Elle réalise l'inventaire par secteurs d'activité des standards ouverts et des logiciels disponibles.
En fonction de cet inventaire, elle soutient le développement de standards ouverts et de logiciels publiés avec leur code source et favorise leur utilisation dans le domaine public afin de pallier les carences du marché.
Elle favorise l'interopérabilité avec les systèmes d'information des autres pays membres de l'Union européenne et participe aux travaux de coopération internationale dans le domaine des technologies de l'information et de la communication. L'ATIC a un correspondant dans chaque préfecture.
Les modalités de fonctionnement de l'Agence des technologies de l'information et de la communication seront établies par décret.
Article 5
Les modalités d'application de la présente loi, notamment les conditions de transition avec la situation actuelle, sont fixées par décret en Conseil d’État.
Article 6
Les dépenses pour l’État résultant de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par une majoration des droits visés aux articles 575 et 575A du code général des impôts.
2437- Proposition de loi de M. Jean-Yves Le Déaut tendant à renforcer les libertés et la sécurité du consommateur et à améliorer la concurrence dans la société de l'information commission de la production.